mardi, octobre 28, 2008

Gide et les aimables maniaques.

Au courrier de ce matin, la photocopie d'un texte envoyée par ma soeur ; récemment, elle m'avait signalé tout le plaisir qu'elle avait pris à lire "Si le grain ne meurt", où André Gide raconte ses années d'enfance, et promis de me communiquer des passages relatifs à l'histoire naturelle.

Je ne résiste donc pas au plaisir de vous livrer cet extrait qui semble bien restituer l'atmosphère des excursions naturalistes des amateurs avertis de la fin du 19°siècle, qu'on imagine très bien en relisant les comptes rendus dans les bulletins contemporains des sociétés savantes, en consultant les guides illustrés de l'époque ou les anciens catalogues d'instruments d'histoire naturelle. Par ailleurs, j'ai retrouvé facilement la trace de Monsieur Poisson, "googlisé" dans un rapport de Monsieur de Wildeman conservateur d'un jardin botanique à Bruxelles, visitant en 1902 différents Instituts de Botanique européens.

Anna est une amie de la mère de l'auteur; elle est de nationalité anglaise, bien sûr, ce qui peut expliquer sa passion pour la nature et la botanique.


"Mais la principale occupation d’Anna, sa plus chère étude,
était la botanique. À Paris elle suivait assidûment les cours de
M. Bureau au Muséum, et elle accompagnait au printemps les
herborisations organisées par M. Poisson, son assistant. Je n’ai
garde d’oublier ces noms qu’Anna citait avec vénération et qui
s’auréolaient dans mon esprit d’un grand prestige. Ma mère, qui
voyait là une occasion de me faire prendre de l’exercice, me
permettait de me joindre à ces excursions dominicales qui prenaient
pour moi tout l’attrait d’une exploration scientifique. La
bande des botanistes était composée presque uniquement de
vieilles demoiselles et d’aimables maniaques ; on se rassemblait
au départ d’un train ; chacun portait en bandoulière une boîte
verte de métal peint où l’on couchait les plantes que l’on se proposait
d’étudier ou de faire sécher. Quelques-uns avaient en
plus un sécateur, d’autres un filet à papillons. J’étais de ces derniers,
car je ne m’intéressais point tant alors aux plantes qu’aux
insectes, et plus spécialement aux coléoptères, dont j’avais
commencé de faire collection ; et mes poches étaient gonflées de
boîtes et de tubes de verre où j’asphyxiais mes victimes dans les
vapeurs de benzine ou le cyanure de potassium. Cependant je
chassais la plante également ; plus agile que les vieux amateurs,
je courais de l’avant, et, quittant les sentiers, fouillais, de-ci, delà,
le taillis, la campagne, claironnant mes découvertes, tout glorieux
d’avoir aperçu le premier l’espèce rare que venaient admirer
ensuite tous les membres de notre petite troupe, certains un
peu dépités lorsque le spécimen était unique, que triomphalement
j’apportais à Anna."

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2 Comments:

Blogger Elisabeth.b said...

Oh quelle jolie idée de publier cet extrait. Je l'avais oublié depuis belle lurette. Je me demande si la botanique n'était pas une de ces matières enseignées aux demoiselles.
Voilà qui donne envie de chercher un peu. Chercher comment nous étions éduquées. Chercher des témoignages de l'intérêt pour la botanique à travers la littérature.

Merci !

mercredi, octobre 29, 2008 1:20:00 AM  
Blogger Jean Pierre J. said...

Il faut feuilleter les anciens manuels de Sciences du 19° lorsque filles et garçons étaient éduqués séparément, et spécialement les manuels réservés aux filles.Dans les anciennes photos d'excursions botaniques des sociétés savantes françaises du début du 20° siècle, c'est encore une majorité masculine qui s'affirme.Mais Fabre à Avignon est viré parce qu'il a expliqué la reproduction des plantes aux jeunes filles de la bonne société dans les cours spéciaux qui leur étaient réservés.

mercredi, octobre 29, 2008 8:43:00 AM  

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